Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/229

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sur nous à toutes voiles sans daigner faire feu, nous heurta de sa proue comme un cheval du poitrail, nous brisa, nous écrasa, nous coula, et passa joyeusement par dessus nous, laissant quelques canots pêcher les prisonniers, desquels je fus, moi dixième, sur deux cents hommes que nous étions au départ. La belle frégate se nommait la Naïade, et pour ne pas perdre l’habitude française des jeux de mots, vous pensez bien que nous ne manquâmes jamais de l’appeler depuis la Noyade.

J’avais pris un bain si violent que l’on était sur le point de me rejeter comme mort dans la mer, quand un officier qui visitait mon portefeuille y trouva la lettre de mon père que vous venez de lire et la signature de lord Collingwood. Il me fit donner des soins plus attentifs ; on me trouva quelques signes de vie, et quand je repris connaissance, ce fut, non à bord de la gracieuse Naïade, mais sur la Victoire ( the Victory ). Je demandai qui commandait ce navire. On me répondit laconiquement : « Lord Collingwood. » Je crus qu’il était fils de celui qui avait connu mon père ; mais quand on me conduisit à lui, je fus détrompé. C’était le même homme.

Je ne pus contenir ma surprise quand il me dit, avec une bonté toute paternelle, qu’il ne s’attendait pas à être le gardien du fils après l’avoir été du père, mais qu’il espérait qu’il ne