Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/241

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la conséquence et le naturel développement. Telles furent pour moi la matinée de Fontainebleau et la nuit du vaisseau anglais. L’amiral Collingwood me laissa en proie à un combat nouveau. Ce qui n’était en moi qu’un ennui profond de la captivité et une immense et juvénile impatience d’agir, devint un besoin effréné de la Patrie ; à voir quelle douleur minait à la longue un homme toujours séparé de la terre maternelle, je me sentis une grande hâte de connaître et d’adorer la mienne ; je m’inventai des biens passionnés qui ne m’attendaient pas en effet ; je m’imaginai une famille et me mis à rêver à des parents que j’avais à peine connus et que je me reprochais de n’avoir pas assez chéris, tandis qu’habitués à me compter pour rien ils vivaient dans leur froideur et leur égoïsme, parfaitement indifférents à mon existence abandonnée et manquée. Ainsi le bien même tourna au mal en moi ; ainsi le sage conseil que le brave Amiral avait cru devoir me donner, il me l’avait apporté tout entouré d’une émotion qui lui était propre et qui parlait plus haut que lui ; sa voix troublée m’avait plus touché que la sagesse de ses paroles ; et tandis qu’il croyait resserrer ma chaîne, il avait excité plus vivement en moi le désir effréné de la rompre. — Il en est ainsi presque toujours de tous les conseils écrits ou parlés. L’expérience seule et le raisonnement qui sort de nos propres