Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/252

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à ses câbles ; et quand je fus sur le pont, je saisis le grand mât, je m’y attachai avec passion, comme à un asile qui me garantissait du déshonneur, et, au même instant, le sentiment de la Grandeur de mon sacrifice me déchirant le cœur, je tombai à genoux, et, appuyant mon front sur les cercles de fer du grand mât, je me mis à fondre en larmes comme un enfant. — Le capitaine de l’Océan, me voyant dans cet état, me crut ou fit semblant de me croire malade, et me fit porter dans ma chambre. Je le suppliai à grands cris de mettre une sentinelle à ma porte pour m’empêcher de sortir. On m’enferma et je respirai, délivré enfin du supplice d’être mon propre geôlier. Le lendemain, au jour, je me vis en pleine mer, et je jouis d’un peu plus de calme en perdant de vue la terre, objet de toute tentation malheureuse dans ma situation. J’y pensais avec plus de résignation, lorsque ma petite porte s’ouvrit, et le bon Amiral entra seul.

— « Je viens vous dire adieu, commença-t-il d’un air moins grave que de coutume ; vous partez pour la France demain matin.

— Oh ! mon Dieu ! Est-ce pour m’éprouver que vous m’annoncez cela, milord ?

— Ce serait un jeu bien cruel, mon enfant, reprit-il ; j’ai déjà eu envers vous un assez grand