Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/272

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ma compagnie, et quelques hommes se jetèrent en arrière, par un premier mouvement dont ils eurent honte. Bonaparte s’avança seul sur l’obus qui brûlait et fumait devant son cheval, et lui fit flairer cette fumée. Tout se tut et resta sans mouvement ; l’obus éclata et n’atteignit personne. Les grenadiers sentirent la leçon terrible qu’il leur donnait ; moi j’y sentis de plus quelque chose qui tenait du désespoir. La France lui manquait, et il avait douté un instant de ses vieux braves. Je me trouvai trop vengé et lui trop puni de ses fautes par un si grand abandon. Je me levai avec effort, et, m’approchant de lui, je pris et serrai la main qu’il tendait à plusieurs d’entre nous. Il ne me reconnut point, mais ce fut pour moi une réconciliation tacite entre le plus obscur et le plus illustre des hommes de notre siècle. — On battit la charge, et, le lendemain au jour, Reims fut repris par nous. Mais, quelques jours après, Paris l’était par d’autres.

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Le capitaine Renaud se tut longtemps après ce récit, et demeura la tête baissée sans que je voulusse interrompre sa rêverie. Je considérais ce brave homme avec vénération, et j’avais suivi attentivement, tandis qu’il avait parlé, les transformations