Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/276

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


CHAPITRE IX

UNE BILLE


Quinze jours après cette conversation que la révolution même ne m’avait point fait oublier, je réfléchissais seul à l’héroïsme modeste et au désintéressement, si rares tous les deux ! Je tâchais d’oublier le sang pur qui venait de couler, et je relisais dans l’histoire d’Amérique comment, en 1783, l’Armée anglo-américaine toute victorieuse, ayant posé les armes et délivré la Patrie, fut prête à se révolter contre le congrès qui, trop pauvre pour lui payer sa solde, s’apprêtait à la licencier. Washington, généralissime et vainqueur, n’avait qu’un mot à dire ou un signe de tête à faire pour être Dictateur ; il fit ce que lui seul avait le pouvoir d’accomplir : il licencia l’armée et donna sa démission. — J’avais posé le livre et je comparais cette grandeur sereine à nos ambitions inquiètes. J’étais triste et me rappelais toutes les âmes guerrières et pures, sans