Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/275

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dans un petit coin de terre que j’ai quelque part en France, où il y a une petite tourelle, dans laquelle j’achèverai d’étudier Polybe, Turenne, Folard et Vauban, pour m’amuser. Presque tous mes camarades ont été tués à la Grande-Armée, ou sont morts depuis ; il y a longtemps que je ne cause plus avec personne, et vous savez par quel chemin je suis arrivé à haïr la guerre, tout en la faisant avec énergie. »

Là-dessus il me secoua vivement la main et me quitta en me demandant encore le hausse-col qui lui manquait, si le mien n’était pas rouillé et si je le trouvais chez moi. Puis il me rappela et me dit :

« Tenez, comme il n’est pas entièrement impossible que l’on fasse encore feu sur nous de quelque fenêtre, gardez-moi, je vous prie, ce portefeuille plein de vieilles lettres, qui m’intéressent, moi seul, et que vous brûleriez si nous ne nous retrouvions plus.

« Il nous est venu plusieurs de nos anciens camarades, et nous les avons priés de se retirer chez eux. — Nous ne faisons point la guerre civile, nous. Nous sommes calmes comme des pompiers dont le devoir est d’éteindre l’incendie. On s’expliquera ensuite, cela ne nous regarde pas. »

Et il me quitta en souriant.