Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/278

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pas tiré son épée et marchait la canne à la main. Les ordres lui étaient d’abord parvenus exactement ; mais, soit que les aides de camp fussent tués en route, soit que l’état-major ne les eût pas envoyés, il fut laissé, dans la nuit du 28 au 29, sur la place de la Bastille, sans autre instruction que de se retirer sur Saint-Cloud en détruisant les barricades sur son chemin. Ce qu’il fit sans tirer un coup de fusil. Arrivé au pont d’Iéna, il s’arrêta pour faire l’appel de sa compagnie. Il lui manquait moins de monde qu’à toutes celles de la Garde qui avaient été détachées, et ses hommes étaient aussi moins fatigués. Il avait eu l’art de les faire reposer à propos et à l’ombre, dans ces brûlantes journées, et de leur trouver, dans les casernes abandonnées, la nourriture que refusaient les maisons ennemies ; la contenance de sa colonne était telle, qu’il avait trouvé déserte chaque barricade et n’avait eu que la peine de la faire démolir.

Il était donc debout, à la tête du pont d’Iéna, couvert de poussière, et secouant ses pieds ; il regardait, vers la barrière, si rien ne gênait la sortie de son détachement, et désignait les éclaireurs pour envoyer en avant. Il n’y avait personne dans le Champ-de-Mars, que deux maçons qui paraissaient dormir, couchés sur le ventre, et un petit garçon d’environ quatorze ans, qui marchait pieds nus et jouait des castagnettes