Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/279

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avec deux morceaux de faïence cassée. Il les raclait de temps en temps sur le parapet du pont, et vint ainsi, en jouant, jusqu’à la borne où se tenait Renaud. Le capitaine montrait en ce moment les hauteurs de Passy avec sa canne. L’enfant s’approcha de lui, le regardant avec de grands yeux étonnés, et tirant de sa veste un pistolet d’arçon, il le prit des deux mains et le dirigea vers la poitrine du capitaine. Celui-ci détourna le coup avec sa canne, et l’enfant ayant fait feu, la balle porta dans le haut de la cuisse. Le capitaine tomba assis, sans dire mot, et regarda avec pitié ce singulier ennemi. Il vit ce jeune garçon qui tenait toujours son arme des deux mains, et demeurait tout effrayé de ce qu’il avait fait. Les grenadiers étaient en ce moment appuyés tristement sur leurs fusils ; ils ne daignèrent pas faire un geste contre ce petit drôle. Les uns soulevèrent leur capitaine, les autres se contentèrent de tenir cet enfant par le bras et de l’amener à celui qu’il avait blessé. Il se mit à fondre en larmes ; et quand il vit le sang couler à flots de la blessure de l’officier sur son pantalon blanc, effrayé de cette boucherie, il s’évanouit. On emporta en même temps l’homme et l’enfant dans une petite maison proche de Passy, où tous deux étaient encore. La colonne, conduite par le lieutenant, avait poursuivi sa route pour Saint-Cloud, et quatre grenadiers, après