Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/281

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peine. Je sentis combien d’embarras à la fois elle avait cachés par bonté naturelle et par bienfaisance. Elle était fort pâle, et ses yeux étaient rougis et fatigués. Elle allait et venait vers une arrière-boutique très étroite que j’apercevais de la porte, et je vis, à sa précipitation, qu’elle arrangeait la petite chambre du blessé et mettait une sorte de coquetterie à ce qu’un étranger la trouvât convenable. — Aussi j’eus soin de ne pas marcher vite, et je lui donnai tout le temps dont elle eut besoin.

— « Voyez, monsieur, il a bien souffert, allez ! » me dit-elle en ouvrant la porte.

Le capitaine Renaud était assis sur un petit lit à rideaux de serge, placé dans un coin de la chambre, et plusieurs traversins soutenaient son corps. Il était d’une maigreur de squelette, et les pommettes des joues d’un rouge ardent ; la blessure de son front était noire. Je vis qu’il n’irait pas loin, et son sourire me le dit aussi. Il me tendit la main et me fit signe de m’asseoir. Il y avait à sa droite un jeune garçon qui tenait un verre d’eau gommée et le remuait avec la cuillère. Il se leva et m’apporta sa chaise. Renaud le prit, de son lit, par le bout de l’oreille, et me dit doucement, d’une voix affaiblie :

« Tenez, mon cher, je vous présente mon vainqueur. »

Je haussai les épaules, et le pauvr