Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/280

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avoir quitté leurs uniformes, étaient restés dans cette maison hospitalière à soigner leur vieux commandant. L’un (celui qui me parlait) avait pris de l’ouvrage comme ouvrier armurier à Paris, d’autres comme maîtres d’armes, et, apportant leur journée au capitaine, ils l’avaient empêché de manquer de soins jusqu’à ce jour. On l’avait amputé ; mais la fièvre était ardente et mauvaise ; et comme il craignait un redoublement dangereux, il m’envoyait chercher. Il n’y avait pas de temps à perdre. Je partis sur-le-champ avec le digne soldat qui m’avait raconté ces détails les yeux humides et la voix tremblante, mais sans murmure, sans injure, sans accusation, répétant seulement : C’est un grand malheur pour nous.

Le blessé avait été porté chez une petite marchande qui était veuve et qui vivait seule dans une petite boutique et dans une rue écartée du village, avec des enfants en bas âge. Elle n’avait pas eu la crainte, un seul moment, de se compromettre, et personne n’avait eu l’idée de l’inquiéter à ce sujet. Les voisins, au contraire, s’étaient empressés de l’aider dans les soins qu’elle prenait du malade. Les officiers de santé qu’on avait appelés ne l’ayant pas jugé transportable, après l’opération, elle l’avait gardé, et souvent elle avait passé la nuit près de son lit. Lorsque j’entrai, elle vint au-devant de moi avec un air de reconnaissance et de timidité qui me firent