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SOUVENIRS

table que dans les Armées la renonciation à ses actions, à ses paroles, à ses désirs et presque à ses pensées. Je voyais partout la résistance possible et usitée, le citoyen ayant, en tous lieux, une obéissance clairvoyante et intelligente qui examine et peut s’arrêter. Je voyais même la tendre soumission de la femme finir où le mal commence à lui être ordonné, et la loi prendre sa défense ; mais l’obéissance militaire, passive et active en même temps, recevant l’ordre et l’exécutant, frappant, les yeux fermés, comme le Destin antique ! Je suivais dans ses conséquences possibles cette Abnégation du soldat, sans retour, sans conditions, et conduisant quelquefois à des fonctions sinistres.

Je pensais ainsi en marchant au gré de mon cheval, regardant l’heure à ma montre, et voyant le chemin s’allonger toujours en ligne droite, sans un arbre et sans une maison, et couper la plaine jusqu’à l’horizon, comme une grande raie jaune sur une toile grise. Quelquefois la raie liquide se délayait dans la terre liquide qui l’entourait, et quand un jour un peu moins pâle faisait briller cette triste étendue de pays, je me voyais au milieu d’une mer bourbeuse, suivant un courant de vase et de plâtre.

En examinant avec attention cette raie jaune de la route, j’y remarquai, à un quart de lieue environ, un petit point noir qui marchait. Cela me