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DE SERVITUDE MILITAIRE.

au vieux capitaine ; c’est gentil à vous. Je vous emmène un peu loin ; mais tant mieux, nous aurons le temps de nous connaître. Je suis fâché de recevoir madame sans mon habit ; mais c’est que je cloue là-haut cette grande coquine de lettre. Si vous vouliez m’aider un peu ?

Ça faisait vraiment de bons petits enfants. Le petit mari prit le marteau, et la petite femme les clous, et ils me les passaient à mesure que je les demandais ; et elle me disait : À droite ! à gauche ! capitaine ! tout en riant, parce que le tangage faisait ballotter ma pendule. Je l’entends encore d’ici avec sa petite voix : «  À gauche ! à droite ! capitaine ! Elle se moquait de moi. — Ah ! je dis, petite méchante ! je vous ferai gronder par votre mari, allez. ! Alors elle lui sauta au cou et l’embrassa. Ils étaient vraiment gentils, et la connaissance se fit comme ça. Nous fûmes tout de suite bons amis.

Ce fut aussi une jolie traversée. J’eus toujours un temps fait exprès. Comme je n’avais jamais en que des visages noirs à mon bord, je faisais venir à ma table, tous les jours, mes deux petits amoureux. Cela m’égayait. Quand nous avions mangé le biscuit et le poisson, la petite femme et son mari restaient à se regarder comme s’ils ne s’étaient jamais vus. Alors je me mettais à rire de tout mon cœur et me moquais d’eux. Ils riaient aussi avec moi. Vous auriez ri de nous voir