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SOUVENIRS

prières. Il y avait une petite lampe qui l’éclairait. Elle était en chemise ; je voyais d’en haut ses épaules nues, ses petits pieds nus et ses grands cheveux blonds tout épars. Je pensai à me retirer, mais je me dis : Bah ! un vieux soldat, qu’est-ce que ça fait ? Et je restai à voir.

Son mari était assis sur une petite malle, la tête sur ses mains, et la regardait prier. Elle leva la tête en haut comme au ciel, et je vis ses grands yeux bleus mouillés comme ceux d’une Madeleine. Pendant qu’elle priait, il prenait le bout de ses longs cheveux et les baisait sans faire de bruit. Quand elle eut fini, elle fit un signe de croix en souriant avec l’air d’aller en paradis. Je vis qu’il faisait comme elle un signe de croix, mais comme s’il en avait honte. Au fait, pour un homme c’est singulier.

Elle se leva debout, l’embrassa, et s’étendit la première dans son hamac, où il la jeta sans rien dire, comme on couche un enfant dans une balançoire. Il faisait une chaleur étouffante : elle se sentait bercée avec plaisir par le mouvement du navire et paraissait déjà commencer à s’endormir. Ses petits pieds blancs étaient croisés et élevés au niveau de sa tête, et tout son corps enveloppé de sa longue chemise blanche. C’était un amour, quoi !

— Mon ami, dit-elle en dormant à moitié, n’avez-vous pas sommeil ? Il est bien tard, sais-tu ?