Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/85

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
80
SOUVENIRS

vaisseau reçut, comme toute la marine, l’ordre monstrueux du Comité de salut public de fusiller les prisonniers de guerre ; il eut le malheur de prendre un bâtiment anglais, et le malheur plus grand d’obéir à l’ordre du gouvernement. Revenu à terre, il rendit compte de sa honteuse exécution, se retira du service, et mourut de chagrin en peu de temps. Ce capitaine commandait la Boudeuse, frégate qui, la première, fit le tour du monde sous les ordres de M. de Bougainville, mon parent. Ce grand navigateur en pleura, pour l’honneur de son vieux vaisseau.

Ne viendra-t-elle jamais, la loi qui, dans de telles circonstances, mettra d’accord le Devoir et la Conscience ? La voix publique a-t-elle tort quand elle s’élève d’âge en âge pour absoudre et pour honorer la désobéissance du vicomte d’Orte, qui répondit à Charles IX lui ordonnant d’étendre à Dax la Saint-Barthélemy parisienne :

« Sire, j’ai communiqué le commandement de Votre Majesté à ses fidèles habitants et gens de guerre ; je n’ai trouvé que bons citoyens et braves soldats, et pas un bourreau. »

Et s’il eut raison de refuser l’obéissance, comment vivons-nous sous des lois que nous trouvons raisonnables de donner la mort à qui refuserait cette même obéissance aveugle ? Nous admirons le libre arbitre et nous le tuons ; l’absurde ne peut régner ainsi longtemps. Il faudra