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DE SERVITUDE MILITAIRE.

chargés de poudre, préparés pour la revue du lendemain. À notre côté, près de la porte du bois, un vieil Adjudant d’artillerie ouvrait et refermait, souvent avec inquiétude, la porte très-légère d’une petite tour, poudrière et arsenal, appartenant à l’artillerie à pied, et remplie de barils de poudre, d’armes et de munitions de guerre. Il nous salua en passant. C’était un homme d’une taille élevée, mais un peu voûtée. Ses cheveux étaient rares et blancs, sa moustache blanche et épaisse, son air ouvert, robuste et frais encore, heureux, doux et sage. Il tenait trois grands registres à la main, et y vérifiait de longues colonnes de chiffres. Nous lui demandâmes pourquoi il travaillait si tard, contre sa coutume. Il nous répondit, avec le ton de respect et de calme des vieux soldats, que c’était le lendemain un jour d’inspection générale à cinq heures du matin ; qu’il était responsable des poudres, et qu’il ne cessait de les examiner et de recommencer vingt fois ses comptes, pour être à l’abri du plus léger reproche de négligence ; qu’il avait voulu aussi profiter des dernières lueurs du jour, parce que la consigne était sévère et défendait d’entrer la nuit dans la poudrière avec un flambeau ou même une lanterne sourde ; qu’il était désolé de n’avoir pas eu le temps de tout voir, et qu’il lui restait encore quelques obus à examiner ; qu’il voudrait bien pouvoir revenir dans la nuit ; et il regardait