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SOUVENIRS

avec un peu d’impatience le grenadier que l’on posait en faction à la porte, et qui devait l’empêcher d’y rentrer.

Après nous avoir donné ces détails, il se mit à genoux et regarda sous la porte s’il n’y restait pas une traînée de poudre. Il craignait que les éperons ou les fers des bottes des officiers ne vinssent à y mettre feu le lendemain.

— Ce n’est pas cela qui m’occupe le plus, dit-il en se relevant, mais ce sont mes registres ; et il les regardait avec regret.

— Vous êtes trop scrupuleux, dit Timoléon.

— Ah ! mon lieutenant, quand on est dans la Garde on ne peut pas trop l’être sur son honneur. Un de nos maréchaux-des-logis s’est brûlé la cervelle lundi dernier, pour avoir été mis à la salle de police. Moi, je dois donner l’exemple aux sous-officiers. Depuis que je sers dans la Garde, je n’ai pas eu un reproche de mes chefs, et une punition me rendrait bien malheureux.

Il est vrai que ces braves soldats, pris dans l’armée parmi l’élite de l’élite, se croyaient déshonorés pour la plus légère faute.

— Allez, vous êtes tous les puritains de l’honneur, lui dis-je en lui frappant sur l’épaule.

Il salua et se retira vers la caserne où était son logement ; puis, avec une innocence de mœurs particulière à l’honnête race des soldats, il re-