Page:Vigny - Stello ou Les diables bleus, 1832.djvu/241

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qui s’y étaient inscrits étaient tous au seul port où nous soyons sûrs d’arriver, et tous parlaient de leur traversée avec mépris et sans beaucoup de regrets, sans espoir non plus d’une vie meilleure, ou seulement d’une vie nouvelle, ou d’une autre vie où l’on se sente vivre. Ils paraissaient s’en peu soucier. Aucune foi dans leurs inscriptions, aucun athéisme non plus ; mais quelques élans de passions, de passions cachées, secrètes, profondes, indiquées vaguement par le prisonnier présent au prisonnier à venir, dernier legs du mort au mourant.

Quand la foi est morte au cœur d’une nation vieillie, ses cimetières (et ceci en était un) ont l’aspect d’une décoration païenne. Tel est votre Père-Lachaise. Amenez-y un Indou de Calcutta, et demandez-lui : « Quel est ce peuple dont les morts ont sur leur poussière des jardins tout petits remplis de petites urnes, de colonnes d’ordre dorique ou corinthien, de petites arcades de fantaisie à mettre sur sa cheminée comme pendules curieuses ; le tout bien badigeonné, marbré, doré, enjolivé, vernissé ; avec des grillages tout autour, pareils aux cages des serins et des perroquets ; et, sur la pierre, des phrases semi-