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THÉÂTRE.

LE QUAKER.

Essaie de la vue d’un sage après celle d’un fou. — Que t’importe ?

CHATTERTON.

Eh ! pourquoi ces retards ? Les hommes d’imagination sont éternellement crucifiés ; le sarcasme et la misère sont les clous de leur croix. Pourquoi voulez-vous qu’un autre soit enfoncé dans ma chair : le remords de s’être inutilement abaissé ? — Je veux sortir raisonnablement. J’y suis forcé.

LE QUAKER se lève.

Que le Seigneur me pardonne ce que je vais faire. Écoute, Chatterton ! je suis très vieux, je suis chrétien et de la secte la plus pure de la république universelle du Christ. J’ai passé tous mes jours avec mes frères dans la méditation, la charité et la prière. Je vais te dire, au nom de Dieu, une chose vraie, et, en la disant, je vais, pour te sauver, jeter une tache sur mes cheveux blancs.

Chatterton ! Chatterton ! tu peux perdre ton âme, mais tu n’as pas le droit d’en perdre deux. — Or, il y en a une qui s’est attachée à la tienne et que ton infortune vient d’attirer comme les Écossais disent que la paille attire le diamant radieux. Si tu t’en vas, elle s’en ira ; et cela, comme toi, sans être en état de grâce, et indigne pour l’éternité de paraître devant Dieu.

Chatterton ! Chatterton ! tu peux douter de l’éternité, mais elle n’en doute pas ; tu seras jugé selon tes malheurs et ton désespoir, et tu peux espérer miséricorde ; mais non pas elle, qui était heureuse et toute chrétienne. Jeune