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CHATTERTON.
À Chatterton.

N’allez-vous pas rejoindre milord ?

CHATTERTON laisse tomber ses papiers ; tout son corps frémit.

Déjà ! — Ah ! c’est vous ! — Ah ! madame ! à genoux ! par pitié ! oubliez-moi.

KITTY BELL.

Eh ! mon Dieu ! pourquoi cela ? qu’avez-vous fait ?

CHATTERTON.

Je vais partir. — Adieu ! — Tenez, madame, il ne faut pas que les femmes soient dupes de nous plus longtemps. Les passions des poètes n’existent qu’à peine. On ne doit pas aimer ces gens-là ; franchement, ils n’aiment rien ; ce sont tous des égoïstes. Le cerveau se nourrit aux dépens du cœur. Ne les lisez jamais et ne les voyez pas ; moi, j’ai été plus mauvais qu’eux tous.

KITTY BELL.

Mon Dieu ! pourquoi dites-vous : « J’ai été ? »

CHATTERTON.

Parce que je ne veux plus être poète ; vous le voyez, j’ai déchiré tout. — Ce que je serai ne vaudra guère mieux, mais nous verrons. Adieu ! — Écoutez-moi ! Vous avez une famille charmante ; aimez-vous vos enfants ?

KITTY BELL.

Plus que ma vie, assurément.