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au klondyke

dizaine de mots à l’embarquement de la cargaison ; puis commença la marche du Caïman à travers les vagues couvertes de glaçons. Pendant deux jours, le Parisien n’avait pas quitté le gaillard d’avant, d’où il informait le capitaine de ce qu’il voyait. Il lui en coûta bien un peu d’avouer que Vernier avait été pour quelque chose dans cette marche sinistre et dangereuse, mais il dut sacrifier un peu à la vérité.

Enfin, on arriva dans l’île. Là le Parisien fut sublime de dévouement et d’énergie. Il distribuait aux autres sa maigre ration, se nourrissant d’espérance et se désaltérant à la coupe du malheur.

Comme cette nourriture semblait un peu légère à ses auditeurs, il n’insista pas trop sur ce point et passa à la révolte combinée par le Gascon et le Marseillais. Ah ! quel horrible carnage ! quelle hécatombe ! Dans la chaleur du récit, Loriot décrivit de tant de façon le coup de couteau qui lui avait troué la poitrine, que les matelots de la Belle-Hélène le considéraient comme s’il n’était plus qu’une agglomération de morceaux recollés.

Quand il eut achevé son récit, il éprouva l’ineffable satisfaction de se voir dévisagé par une cinquantaine d’yeux brillants d’admiration.

Hélas ! cette jouissance d’amour-propre ne dura pas, et ce fut son meilleur ami qui jeta sur l’enthousiasme une douche glacée.

— C’est beau ce que tu nous as raconté, lui dit naïvement Valentin, mais tu ne nous as pas dit à quelle époque ça s’est passé.