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le retour en france

Du coup, Loriot se troubla visiblement. Néanmoins il répondit avec assez d’assurance :

— Mais c’est le récit de notre expédition.

— C’est extraordinaire ! fit de plus en plus candidement Valentin ; je n’ai rien vu de tout cela, et pourtant, j’y étais.

— Ma foi ! dit Baludec, il faut que ma pauvre cervelle se soit bien détraquée, car je ne reconnaissais plus du tout notre histoire. Il y a bien, par ci par là, des choses dont je me souviens, mais la majeure partie de ton beau récit m’échappe complètement.

L’admiration des matelots fit alors place à la moquerie. Ce que voyant, Loriot prit un air digne et monta sur le pont pour se dérober aux quolibets que chacun lui décochait, car il comprenait fort bien que se fâcher ne servirait qu’à stimuler la railleuse gaieté des matelots.

Une fois sur le pont, il alla s’asseoir sur un paquet de cordages, et, la tête dans les mains, il médita longuement sur la fragilité de l’amitié des hommes.

Cet animal de Valentin dont il avait fait son meilleur ami, cet étourdi venait de le précipiter du piédestal sur lequel il s’était hissé à la force de l’imagination. Avait-on jamais vu pareil lourdeau ? Ça allait comme sur des roulettes. Il se voyait déjà accablé de paquets de tabac et de politesses de toutes sortes, et voilà que, sans crier gare, son inséparable, celui qui jadis lui culottait des pipes faisait de lui un objet de risée.

Un bruit de pas frappant son oreille lui fit relever la tête.

Le coupable était devant lui. Loriot, sans prononcer une parole, se leva, le foudroya d’un regard à la Louis XIV