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le caïman

tement des proportions effrayantes. Le Caïman filait comme un cheval de course, tantôt sur le haut des lames tantôt plongeant entre elles comme s’il s’engloutissait.

Sur l’ordre formel de son ami, le comte était descendu dans sa cabine, d’où il entendait avec une certaine appréhension la voix terrible de la tempête, maintenant dans toute sa fureur. Le ciel était couvert de nuages noirs sillonnés d’éclairs livides que ponctuaient de terribles coups de tonnerre. Bientôt la pluie tomba avec violence. Le navire, secoué dans tous les sens, n’obéissait plus au gouvernail. Charles Vernier fit carguer ce qui restait de voiles, mais la bourrasque était telle que le Caïman continua sa course folle. Cramponnés aux bastingages, les matelots ressemblaient à ces damnés de l’Enfer du Dante, qui sont emportés dans un éternel ouragan.

Soudain, dominant les bruits de la tempête, une voix mâle, solennelle, se fit entendre. C’était celle d’un timonier breton qui adressait un suprême appel à sainte Anne d’Auray. Lorsqu’il eut achevé sa prière, l’équipage entier la répéta, car chacun comprenait que la puissance divine pouvait seule sauver le navire.

Cependant, l’ouragan continuait de faire rage et les matelots, malgré leur foi en la mère de la Vierge, commençaient à désespérer, quand le vent s’apaisa presque brusquement en même temps que les nuages s’enfuyaient, laissant passer entre eux une pâle clarté annonçant le jour.

Pendant une heure encore les flots tumultueux firent bondir le Caïman ; puis, peu à peu, ils se calmèrent et le soleil émergea majestueusement à l’horizon.

À ce moment une tête pâle surgit d’une écoutille. À