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le caïman

Très touché de cette protestation affectueuse, Valentin avait senti ses yeux se mouiller d’attendrissement, et il avait serré dans ses bras le jeune loustic en le priant de lui pardonner ses injustes soupçons. Mais il n’avait pas tardé à reconnaître qu’il avait été trop confiant et que la parole des hommes n’est pas toujours mot d’évangile ; aussi redoutait-il fort de se trouver en contact avec son tyran. S’il se fût plaint à son maître, nul doute que les plaisanteries dont il faisait tous les frais n’eussent pris fin ; mais il était trop loyal pour recourir à de semblables procédés. Il se disait que le temps changerait les idées de ses persécuteurs et que l’on finirait pas le laisser en repos. En attendant, il employait des ruses d’Apache pour éviter les mauvais tours du Parisien qui, de son côté, déployait toutes les ressources de son intelligence pour tendre des pièges au pauvre diable.

Cinq jours s’étaient écoulés depuis la tempête, quand, un soir, Valentin s’approcha du gaillard d’arrière, où une dizaine de matelots, assis en rond, écoutaient une histoire que leur racontait un timonier.

À sa grande surprise, au lieu de l’accueillir par des lazzis, selon leur coutume, deux marins, sur un signe du Parisien, s’écartèrent silencieusement afin de lui permettre de prendre place dans le cercle. Il s’assit donc, heureux de la gracieuseté des matelots, et écouta gravement le récit du conteur.

Quand ce dernier eut achevé sa narration, tous se levèrent : Valentin voulut en faire autant, mais il ne put y parvenir. Il s’aperçut alors que les matelots l’avaient fait asseoir sur une couche de goudron frais, de sorte que,