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deuxième voyage

d’un pied d’épaisseur dont la blancheur brûlait la vue.

À ce spectacle, une grande désespérance envahit les matelots, et plusieurs déclarèrent préférer mourir là que continuer une lutte qui ne serait qu’une longue agonie. Mais le capitaine releva les courages abattus et galvanisa les volontés par des paroles énergiques, engageant les désespérés à prendre pour modèles les porteurs indigènes qui, habitués dès leur enfance à ce climat meurtrier, ne se départissaient point de leur impassibilité.

L’amour-propre aidant, les Français se rendirent enfin aux exhortations de leur chef et promirent de lutter jusqu’au bout.

Cependant, la neige tombait, tombait toujours. Les affûts supportant les chaloupes disparaissaient jusqu’aux essieux.

Au moment de traverser la rivière Plumée, pour gagner la rivière Rouge, on s’aperçut qu’elle était gelée. Que faire ? Remonter la rive pouvait obliger à de nombreux détours. Il fallait pourtant prendre un parti. Lequel ?…

Vernier fut tiré de sa perplexité par la voix du comte.

— Laisse-moi faire, lui dit-il ; je vais ausculter la glace.

Et, prenant un épieu, il s’avança hardiment sur la rivière congelée, frappant à droite et à gauche pour se rendre compte de l’épaisseur de la glace.

La rivière Plumée a près de cinquante mètres de largeur. Le comte se trouvait au milieu, quand un craquement sourd se fit entendre : la glace s’était rompue sous lui et il avait disparu avant même que ses compagnons atterrés eussent eu le temps de jeter un cri. Mais en même temps que le comte, un autre homme disparaissait : Va-