Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/108

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

première dérive de l’autre : cela même Aristote ne le conteste ni ne s’en préoccupe, étant surtout attentif au spectacle des faits, des intérêts et des passions humaines, et cherchant là les principes du droit politique, bien plus que dans aucune idée préconçue de justice ou d’humanité.

Cette méthode tout expérimentale, appliquée à la législation des États, supposait un autre ouvrage qu’avait en effet écrit Aristote, qui s’est perdu dans le naufrage des temps et qui aurait représenté pour nous l’Esprit des Lois de l’antiquité. C’était le recueil expliqué, la classification savante, la description historique des Constitutions et des Gouvernements connus dans le monde antique, depuis l’opulente Carthage jusqu’à la pauvre et petite Ithaque, depuis la royauté absolue des Perses jusqu’à ces royautés tempérées de la Cyrénaïque et des villes de Sicile, ou cette royauté si restreinte de Sparte. Les témoignages ont varié sur le chiffre de cette collection qui comprenait tout ce que le cercle agité de la Grèce avait offert à l’observateur, et tout ce que lui ouvraient au loin les victoires d’Alexandre, ce voyageur armé, dont l’ambition de conquérir égalait l’ambition de savoir d’Aristote.

Comme parcelles détachées de ce grand ouvrage, on a retrouvé, çà et là dans les grammairiens et les polygraphes, mille courtes indications montrant qu’il embrassait des États de toute origine, grecque, phénicienne, italique, barbare, et devait contenir bien des détails qui manquent à l’histoire, telle qu’elle nous est parvenue à travers les destructions du temps, « Par Aristote, disait Cicéron, nous connaissons les mœurs, les institutions, les disciplines de presque tous les États, non pas seulement de la Grèce, mais encore du monde barbare ; par Théophraste nous en connaissons aussi les lois. Cet ouvrage de Théophraste, qui était encore d’une manière plus détaillée une sorte d’Esprit des Lois de l’antiquité, a péri aussi complétement que le livre même du maitre, dont il était évidemment une dépendance et une application. Mais le témoignage de Cicéron, la nature de l’ouvrage qu’il désigne et quelques parcelles plus significatives qui s’en sont conservées disent assez quel était le prix de ce travail d’Aristote : il n’y aurait pas aujourd’hui, pour la science historique et pour les traditions de l’esprit humain, de découverte plus importante que celle de cette