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kalifes avaient fort encouragées, de Bagdad à Cordoue et de Samarcande à Fez. On savait que ce travail avait souvent porté sur des œuvres de science et particulièrement sur les écrits d’Aristote si admiré dans l’Orient, où des contes vulgaires, répétés sous la tente, mêlent encore souvent son nom à celui d’Alexandre.

La certitude alla plus loin. Un des explorateurs envoyés dans l’Orient, vers les derniers temps de la monarchie, le docte Villoison, présent à Constantinople en 1785, auprès du plus littéraire des ambassadeurs, le comte Choiseul Gouffier[1], regrette que son trop court séjour dans cette ville ne lui ait pas permis d’y chercher dans les bibliothèques publiques et particulières un trésor, dont l’existence ne lui parait pas douteuse ; et il rappelle, en même temps, ce qu’on peut vérifier ici chaque matin, qu’à la bibliothèque royale se conserve le grand catalogue littéraire et scientifique d’Hadgi-Khaffa, formant, avec la traduction intercalée de Petis de la Croix, trois volumes in-folio, dans un desquels le critique arabe mentionne la traduction en sa langue de l’ouvrage d’Aristote « comprenant, dit-il, l’histoire et la description de cent quatre-vingt-onze états et constitutions politiques. »

Si les kalifes ne s’étaient pas inquiétés de cette extrême diversité de gouvernements à présenter à l’esprit des Osmanlis courbés sous leur joug, il serait bien digne de l’esprit libre et éclairé des Européens modernes de rechercher à tout prix un tel trésor. Hadgi-Kaffa était, dit-on, un habile littérateur du onzième siècle, dont l’ouvrage devait être répandu dans l’Orient, puisqu’il en existe même à notre bibliothèque deux exemplaires complets, transmis par deux de nos ambassadeurs à Constantinople, Guilleragues et Nointel. La traduction d’Aristote qu’il analyse devait se trouver dans les bibliothèques arabes d’Espagne, dont Yriarte et Casiri ont catalogue tant de curieux débris, bien que la plus grande partie en ait été reportée en Afrique par les Maures expulsés. A part même l’Orient et la Turquie européenne, ce monument peut se conserver à Maroc, à Mequinez, à Fez, où les mosquées avaient autrefois des écoles et des bibliothèques. A qui appartiendrait-il plus qu’à la France de poursuivre une telle recherche par droit de voisinage et

  1. Mémoire de l’Académie des Inscritp. et Belles-Lettres, t. xlvii, p. 322.