Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/133

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plus courte et moins vive que celle du pur amour. Les courtisans supposèrent à Fénelon, dans cette circonstance, des vues d’ambition et de flatterie. Si Fénelon avait voulu gagner le cœur du roi, il employait à la même époque une voie plus noble, en nourrissant, à ses dépens, l’armée française pendant le désastreux hiver de 1709 ; mais il ne cherchait pas plus dans cette occasion que dans l’autre à guérir des préventions incurables. Il servait la religion et la patrie. L’année suivante, les mêmes sentiments lui inspiraient la peinture éloquente des maux de la France, et le projet d’associer la nation au gouvernement, la proposition d’une assemblée de notables. Ce mémoire est du plus haut intérêt. Fénelon y juge admirablement la force et la faiblesse du despotisme, la puissance salutaire de la liberté. On a peine à concevoir que cette politique généreuse et prévoyante, qui devançait l’opinion de l’Europe, ait attiré à Fénelon des reproches et des haines jusqu’au milieu de notre siècle. Si c’était à ce titre qu’on a donné le nom de philosophe au plus religieux des évoques, Fénelon ne désavouerait ni ses panégyristes, ni ses accusateurs ; et, pour avoir souhaité le bonheur et la liberté des peuples, il ne se croirait pas moins chrétien. Les mémoires que Fénelon adressait au duc de Beauvilliers étaient le vœu d’un sage zélé pour son pays, mais sans autorité pour le servir. Un événement inattendu laissa entrevoir le moment où les conseils de Fénelon pourraient gouverner la France. Le grand Dauphin mourut ; et le duc de Bourgogne, longtemps opprimé par la médiocrité de son père, se vit tout à coup rapproché du trône, dont il était l’héritier, et du roi, dont il devint le confident et l’appui. Ses vertus, affranchies d’une jalouse tutelle, eurent enfin assez d’espace pour agir ; et l’élève de Fénelon se découvrit tout entier. Quelle joie devait éprouver le vertueux instituteur, en voyant son ouvrage