Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/135

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avec ce prince une correspondance philosophique. Sans doute Fénelon espérait vaincre par la vertu et la vérité une âme abandonnée à tous les vices, mais incapable d’un crime. C’est Platon écrivant à Denys ; et la ressemblance est d’autant plus vraie, que, laissant à l’écart la religion révélée, Fénelon s’attache, avant tout, à prouver les principes de la religion naturelle, principes ordinairement faibles et mal établis dans un cœur qui a perdu tous les autres, mais auxquels son génie lumineux et simple prête une force qui devait étonner la frivole incrédulité du duc d’Orléans. Une pareille discussion paraîtra, dans notre siècle, beaucoup plus digne de Fénelon que les débats théologiques où la bulle Unigenitus l’engagea sur la fin de sa vie. Mais ce grand homme, fidèle avant tout au caractère épiscopal, ne voyait pas pour lui de tâche plus noble que de combattre les opinions qui troublaient les consciences et l’Église.

La malignité supposa que le zèle de Fénelon était animé par un ancien dépit contre le cardinal de Noailles. Mais, quand la conduite d’un homme vertueux est autorisée par son devoir, il ne faut pas l’expliquer par ses faiblesses. Ce fut à ces discussions abstraites et difficiles que Fénelon consacra les derniers jours d’une vie souffrante et désolée par le deuil. Cet homme, si sensible aux amitiés de la terre, et qui désirait que tous les bons amis s’entendissent pour mourir ensemble, perdit, à de courts intervalles, presque tous ceux qu’il aimait. Pendant qu’affligé de plusieurs pertes successives il écrivait : « Je ne vis plus que d’amitié, et ce sera l’amitié qui me fera mourir, » la mort lui enleva le duc de Beauvilliers : il mourut lui-même quatre mois après, à l’âge de soixante-quatre ans (le 7 janvier 1715). Une chute légère hâta ce moment qu’il souhaitait ; sa mort comme sa vie fut celle d’un grand et vertueux évêque.