Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/139

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d’un plan. Le caractère le plus heureux, dans cette variété de portraits, c’est celui du jeune Télémaque. Plus développé, plus agissant que le Télémaque de l’Odyssée, il réunit tout ce qui peut surprendre, attacher, instruire dans l’âge des passions, il est sous la garde de la sagesse, qui le laisse souvent faillir, parce que les fautes sont l’éducation des hommes ; il a l’orgueil du trône, l’emportement de l’héroïsme, et la candeur de la première jeunesse. Ce mélange de hauteur et de naïveté, de force et de soumission, forme peut-être le caractère le plus touchant et le plus aimable qu’ait inventé la muse épique : et, sans doute, un grand maître dans l’art de peindre et de toucher, Rousseau, a senti ce charme prodigieux, lorsqu’il a supposé que Télémaque serait, aux yeux de la pudeur et de l’innocence, le modèle idéal digne d’un premier amour.

De grands critiques ont souvent répété que le héros d’un poëme et d’une tragédie ne doit pas être parfait. Ils ont admiré dans l’Achille d’Homère, dans le Renaud de Tasse, l’intérêt des fautes et des passions, mais ils n’ont pas prévu l’intérêt non moins neuf et plus moral que présenterait un caractère qui, mélangé d’abord de toutes les faiblesses humaines, paraîtrait s’en dégager insensiblement, et se développerait en s’épurant. On blâme dans Grandisson l’uniformité de la sagesse et de la vertu, la monotonie de la perfection. Le caractère de Télémaque offre le charme de la vertu et les vicissitudes de la faiblesse ; il n’en a pas moins de mouvement, parce qu’il tend à la perfection. Il s’anime et se perfectionne à la fois ; et l’intérêt qu’on éprouve est agité comme la lutte des passions, et doux comme le triomphe de la vertu. Sans doute Fénelon, dans cette forme donnée au caractère principal, cherchait avant tout l’instruction de son élève ; mais il créait en même temps une des concep-