Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/41

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écrit sur les livres des autres, au lieu d’en faire lui-même, n’est pas un ennemi naturel des gens de lettres, mais un homme de lettres moins entreprenant ou plus modeste. Cette injuste amertume, cette inimitié sans motif est la cause des plus grands abus de la censure littéraire. Que le critique commence par aimer d’un amour sincère l’étude des beaux-arts ; que son âme en ressente avec délices les nobles impressions qu’il entre dans l’empire des lettres, non pas comme un proscrit qui veut venger sa honte, mais comme un rival légitime qui mesure sur son talent l’objet de son ambition, et qui veut obtenir une gloire, en jugeant bien celle des autres : alors il sera juste ; et sa justice accroitra ses lumières. Il sera le vengeur et le panégyriste des écrivains distingues. Il sentira vivement leurs fautes ; il en souffrira. Mais, tandis qu’il les blâme avec une austère franchise, son estime éclate dans ses reproches, toujours adoucis par ce respect que le talent inspire à tous ceux qui sont dignes d’en avoir. H se croira chargé des intérêts de tout bon ouvrage qui parait sans la recommandation d’un nom déjà célèbre ; à travers les fautes, il suivra curieusement la trace du talent ; et, lorsque le talent n’est encore qu’à demi développé, il louera l’espérance. Quelquefois l’enthousiasme même des lettres peut lui inspirer une sorte d’impatience et de dépit à la lecture d’un ennuyeux et ridicule ouvrage ; mais l’habitude corrigera bientôt l’amertume de son zèle ; il s’apercevra qu’il est inutile d’épuiser tous les traits du sarcasme et de l’insulte contre un pauvre auteur, dont les exemples n’ont pas le droit d’être dangereux.

Un sage l’a dit : Il faut avoir de l’âme pour avoir du goût[1]. Ainsi, l’impartialité, l’amour des lettres pour

  1. Vauvenargues.