Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/42

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elles-mêmes, le désir des succès d’autrui, ce mélange de principes équitables et de sentiments nobles doublera le mérite du critique, et rendra son goût plus lumineux et plus pur. A force d’abuser de sa conscience, on parvient à se fausser l’esprit. Une erreur souvent répétée pénètre insensiblement dans la pensée de son auteur, à la suite de tous les vains sophismes dont il la fortifiait sans la croire lui-même. C’est la punition d’un critique de mauvaise foi ; il finit par perdre le bon sens. Cette instabilité d’une opinion sans pudeur ne sait plus où s’arrêter. Tout est variable et faible, quand il n’y a pas d’appui dans le cœur. Tel un juge corrompu se livrant à une indifférence universelle, pour se donner plus de liberté, laisserait à dessein chaque jour s’émousser en lui l’intelligence du bien et du mal, et jetterait au hasard ses décisions tantôt capricieuses, et tantôt mercenaires. Non, tout ce qu’il y a de pur, de noble et d’élevé dans le plus sublime des beaux-arts, n’est pas fait pour être senti par une âme rampante et avilie ; elle n’entend pas ce langage ; elle trouve dans sa propre bassesse une incrédulité toute prête contre les sentiments généreux. Les lumières de la science et de l’esprit ne peuvent la conduire jusque-là. Son goût est imparfait ; il lui manque le sens moral ; et, si le goût n’est que la sensation vive et réfléchie de la beauté, le pouvoir de saisir, dans les objets et dans les passions, les nuances les plus délicates de la vérité et de la convenance ; s’il doit juger de tous les rapports du cœur humain ; si, comme le génie même, il doit avoir ses illusions, ses enthousiasmes, ses théories d’un sublime idéal, combien ce sens moral ne devient-il pas pour lui un guide infaillible et nécessaire ! Formé à l’école antique, le goût si pur de Fénelon s’embellissait encore de la pureté de son âme. Je sais qu’il est un goût acquis par l’étude, la lecture et la comparaison ; et je ne