prétends pas en nier l’empire ni le mérite. C’est ce jugement pur et fin, composé de connaissances et de réflexions, que possédera d’abord le critique ; il a pour fondement l’étude des anciens, qui sont les maîtres éternels de l’art d’écrire, non pas comme anciens, mais comme grands hommes. Cette étude doit être soutenue et variée par la méditation attentive de nos écrivains, et par l’examen des ressemblances de génie, et des différences de situation, de mœurs, de lumières, qui les rapprochent ou les éloignent de l’antiquité. Voilà le goût classique ; qu’il soit sage, sans être timide, exact, sans être borné ; qu’il passe à travers les écoles moins pures de quelques nations étrangères, pour se familiariser avec de nouvelles idées, se fortifier dans ses opinions, ou se guérir de ses scrupules ; qu’il essaie, pour ainsi dire, ses principes sur une grande diversité d’objets : il en connaîtra mieux la justesse ; et, corrigé d’une sorte de pusillanimité sauvage, il ne s’effarouchera pas de ce qui paraît nouveau, étrange, inusité ; il en approchera, et saura quelquefois l’admirer. Qui connaît la mesure et la borne des hardiesses du talent ? Il est des innovations malheureuses, qui ne sont que le désespoir de l’impuissance ; il en est qui, dans leur singularité même, portent un caractère de grandeur. Confrontez-les avec le sentiment intime du goût. Le goût n’exige pas une foi intolérante. Vous éprouverez qu’il adopte de lui-même, dans les combinaisons les plus nouvelles, tout ce qui est fort et vrai, et ne re, jette que le faux, qui presque toujours est la ressource et le déguisement, de la faiblesse. Quelques productions irréguliéres et informes ont enlevé les suffrages ; elles ne plaisent point par la violation des principes, mais en dépit de cette violation et c’est au contraire le triomphe de la nature et du goût, que quelques beautés conformes à cet invariable modèle, répandues
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