Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/88

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tique. C’est sous ce rapport que le législateur examine une question qui ne pouvait être étrangère à l’Esprit des Lois, puisque les lois modifiées par les vices de la société qu’elles répriment sont devenues quelquefois la science du juste dans l’injustice même, l’art d’observer un certain droit, une certaine mesure dans la violation même du droit naturel. Cet esclavage, dont Montesquieu s’indignait en le discutant, lui paraît si odieux, qu’il l’impute tout entier au despotisme de l’Orient[1], et le déclare incompatible avec la constitution d’un État libre, oubliant que toutes les démocraties de la Grèce avaient pris la servitude domestique pour base de l’indépendance sociale. Le caprice d’un sculpteur a fait porter par des esclaves la statue d’un grand roi dont l’Europe accusa l’orgueilleuse prospérité. C’est dans la Grèce, dans Rome, que la statue de la liberté pesait tout entière sur les esclaves courbés et tremblants. Tant il est vrai que rien ne peut être extrême sans être injuste, et que l’excessive liberté, par sa nature même, a besoin, pour être servie, d’un excessif esclavage !

De l’influence du climat, Montesquieu voit naître une autre servitude qu’il avait déjà désignée, celle de l’invasion et de la conquête. Ainsi les diverses parties de ce vaste ouvrage se touchent et se mêlent ; mais chacune d’elles est traitée avec cette grandeur de vues générales qui éblouit la pensée, et ce choix infini de détails que l’analyse ne peut essayer d’atteindre, science d’observer qui devient une création de pensées, puisque chaque fait

  1. Dans la démocratie, où tout le monde est égal, et dans l’aristocratie, où les lois doivent faire leurs efforts pour que tout le monde soit aussi égal que la nature du gouvernement peut le permettre, des esclaves sont contre l’esprit de la constitution. Ils ne servent qu’à donner aux citoyens une puissance et un luxe qu’ils ne doivent point avoir. » (Esprit des Lois, liv. XV, chap. I.)