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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

et de ces feux on retrouve encore quelques rayons épars dans les décombres des scoliastes.

Il semble qu’avec ou après la passion de l’amour, Sapho avait eu celle de la gloire. L’espérance de cette gloire, l’orgueil, non plus de la beauté, mais du génie, éclate dans quelques vers d’une pièce perdue[1] :

« Morte, tu seras gisante », dit la Muse lesbienne à quelque femme ennemie ou rivale ; « il ne restera de toi nulle mémoire dans l’avenir ; car tu ne touches pas aux roses de la montagne des Piérides ; mais tu iras, obscure, visiter les demeures d’Adès, t’envolant sur le sol des aveugles morts. »

Une autre fois, devant des femmes qui, riches et belles, semblaient enivrées de leur destinée, elle parut plus fière encore, en disant « que les Muses lui donnaient, à elle, le vrai bonheur et le seul digne d’envie ; car, même dans la mort, elle ne serait jamais oubliée. » Elle disait vrai. Son nom vivra, comme l’amour.

Il est vrai que, pour nous, ce qu’elle décrit, c’est moins l’émotion délicate de l’âme que le trouble des sens et comme la fièvre du cœur. Le témoignage s’en trouve dans cette anecdote du médecin Érasistrate surprenant la passion secrète du fils de Séleucus pour sa belle-mère Stratonice, par l’observation même des signes qu’avait sentis et marqués sur elle-même Sapho

  1. Poet. lyr. græc., ed. Bergk, p. 615.