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ET SUR LA POÉSIE LYRIQUE.

saisie d’amour : « Les symptômes, dit Plutarque, étaient les mêmes, la perte de la voix, l’expression des regards, la sueur brûlante, l’ataxie de la fièvre et le trouble dans les veines, enfin l’abattement de l’âme, l’abandon, la stupeur et la pâleur. » Telle est en effet, dans son expressive vérité, l’analyse médicale de cette ode profane, de ce crime élégant de la pensée dont Catulle avait égalé la force, mais non la grâce, et que voici, dans la lettre morte de la prose :

« Il est pour moi égal aux dieux l’homme qui s’assied en face de toi et t’écoute doucement parler et doucement sourire. Cela m’a fait tressaillir le cœur de l’avoir vue, et il ne me vient plus de voix ; mais ma langue est liée ; et sous le tissu éteint de la peau je sens circuler une flamme. Les yeux n’ont plus de regards, et des bruits remplissent les oreilles ; une sueur glacée se répand, un tremblement m’agite : je deviens plus pâle que l’herbe flétrie ; et, près d’expirer, je demeure sans haleine. »

Nous ne voudrions pas d’autre réponse que cette nosologie de l’amour à la bonne foi des critiques allemands qui rêvent une Sapho tout idéale. Non ; il faut, en admirant le génie du poëte, reconnaître ses égarements et les imputer à ce culte matériel et corrupteur, à cette ivresse des sens où l’âme était plongée sous le beau ciel des Cyclades, entre les charmes de la nature et de l’art, devant les théories gracieuses qui déployaient leurs voiles blanches sur cette mer d’azur, et