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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

débris de mahométisme épars encore dans ses États, hésitait à lutter contre la puissance des Turcs et surtout à défendre contre eux Venise, dont il enviait le riche commerce. Invoqué avant tout autre, dans la ligue projetée contre Sélim, il s’était fait concéder par le pape un tribut annuel extraordinaire, à lever sur les biens ecclésiastiques, dans toute l’étendue de ses royaumes. Mais cette amorce même devenait cause de retard, l’avare et rusé monarque différant les préparatifs, multipliant les obstacles et les lenteurs avant la guerre, pour jouir plus longtemps du privilége arraché. Peut-être aussi, dans ses craintes jalouses, répugnait-il à donner au fils de Charles-Quint et d’une femme inconnue, à son frère bâtard, l’héroïque don Juan, une si grande occasion de gloire.

C’est ainsi que, malgré la confédération résolue, et devant la flotte des alliés, maîtresse de la mer, l’île de Chypre fut subjuguée, après les siéges opiniâtres et la prise de ses deux capitales, Nicosie et Famagouste, sans aucune diversion tentée dans l’intervalle.

Cette victoire était odieuse, et faite pour soulever l’indignation de l’Europe. À Nicosie, les Turcs, entrés par capitulation, avaient massacré la garnison entière ; à Famagouste, le pacha, reçu également à conditions, sur des ruines, devant une garnison exténuée de misère et de faim, avait, dans un transport de colère, violé toute promesse, fait égorger les nobles vénitiens et écorcher vif l’héroïque gouverneur de la place.