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ET LA PATIENCE.

En disant ces mots, & sans que personne pût prévoir son funeste dessein, il s’élança sur l’épée du plus proche de ses Gardes, & se la passant au travers du corps, il expira à l’instant.

Je me jettai inutilement sur lui ; c’en étoit fait, il étoit sans vie. Je ne puis exprimer le désordre où me mît ce malheur. Je perdis toute connoissance ; on m’emporta hors du lieu où cet affreux spectacle s’étoit donné, & mes Sujets crurent, pendant long-temps, qu’il causeroit ma mort ; mais enfin les soins qu’on prit de moi, prévalurent sur un désespoir que le temps sut calmer. Je ne me reprochois pas d’avoir donné occasion à cette affreuse catastrophe, & l’innocence de mon ame y fit insensiblement rentrer la tranquillité. J’oubliai en quelque sorte cette fatale aventure ; le fils qui me restoit, redoublant ses soins pour me calmer & pour me dédommager d’un accident dont il avoit été l’infortuné prétexte, & duquel il étoit aussi touché que moi-même.

Je n’avois pas encore quarante ans quand ce malheur arriva. Mes Sujets, qui voyoient mon fils souvent exposé dans les guerres que je ne pouvois éviter, ou même à la chasse, où la passion qu’il en avoit, l’entraînant avec trop d’ar-