Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/116

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— À la Maison-dorée ! dit-elle.

Puis, se penchant vers moi :

— Je ne connais pas votre ami : quel homme est-ce ? Il m’intrigue infiniment. Il a un drôle de regard !

— Notre ami ? — répondis-je : à peine l’ai-je vu deux fois, la saison dernière, en Allemagne.

Elle me considéra d’un air étonné :

— Quoi donc, repris-je, il vient nous saluer dans notre loge et vous l’invitez, à souper sur la foi d’une présentation de bal masqué ! En admettant que vous ayez commis une imprudence digne de mille morts, il est un peu tard pour vous alarmer touchant notre convive. Si les invités sont peu disposés demain à continuer connaissance, ils se salueront comme la veille : voilà tout. Un souper ne signifie rien.

Rien n’est amusant comme de sembler comprendre certaines susceptibilités artificielles.

— Comment, vous ne savez pas mieux quels sont les gens ? — Et si c’était un…

— Ne vous ai-je pas décliné son nom ? le baron Saturne ? — Est-ce que vous craignez de le compromettre, mademoiselle ? ajoutai-je, d’un ton sévère.

— Vous êtes un monsieur intolérable, vous savez !

— Il n’a pas l’air d’un grec : donc notre aventure est toute simple. — Un millionnaire amusant ! N’est-ce pas l’idéal ?

— Il me paraît assez bien, ce M. Saturne, dit C***.

— Et, au moins en temps de carnaval, un homme très riche a toujours droit à l’estime ? conclut, d’une voix calme, la belle Susannah.