Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/126

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Ce qui ne m’empêchait point d’arborer joyeusement une fleur à ma boutonnière, en vrai chevalier de l’ordre du Printemps.

Sur ces entrefaites, Susannah quitta le piano. Je cueillis un bouquet sur la table et vins le lui offrir avec des yeux railleurs.

— Vous êtes, dis-je, une diva ! — Portez l’une de ces fleurs pour l’amour des amants inconnus.

Elle choisit un brin d’hortensia qu’elle plaça, non sans amabilité, à son corsage.

— Je ne lis pas les lettres anonymes ! répondit-elle en posant le reste de mon « sélam » sur le piano.

La profane et brillante créature joignit ses mains sur l’épaule de l’un d’entre nous — pour retourner à sa place sans doute.

— Ah ! froide Susannah, lui dit C*** en riant, vous êtes venue, ce semble, au monde, à la seule fin d’y rappeler que la neige brûle.

C’était là, je pense, un de ces compliments alambiqués, tels que les déclins de soupers en inspirent et qui, s’ils ont un sens bien réel, ont ce sens fin comme un cheveu ! Rien n’est plus près d’une bêtise et, parfois, la différence en est absolument insensible. À ce propos élégiaque, je compris que la mèche des cerveaux menaçait de devenir charbonneuse et qu’il fallait réagir.

Comme une étincelle suffit, parfois, pour en raviver la lumière, je résolus de la faire jaillir, à tout prix, de notre convive taciturne.

En ce moment, Joseph entra, nous apportant (bizar-