Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/164

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au poing. La partition de la Musique-nouvelle n’était plus, maintenant, que d’un intérêt secondaire. Tout à coup, la porte basse donna passage à l’homme d’autrefois : huit heures sonnaient ! À l’aspect de ce représentant de l’ancienne-Musique, tous se levèrent, lui rendant hommage comme une sorte de postérité. Le patriarche portait sous son bras, couché dans un humble fourreau de serge, l’instrument des temps passés, qui prenait, de la sorte, les proportions d’un symbole. Traversant les intervalles des pupitres et trouvant, sans hésiter, son chemin, il alla s’asseoir sur sa chaise de jadis, à la gauche de la caisse. Ayant assuré un bonnet de lustrine noire sur sa tête et un abat-jour vert sur ses yeux, il démaillota le chapeau-chinois, et l’ouverture commença.

Mais, aux premières mesures et dès le premier coup d’œil jeté sur sa partie, la sérénité du vieux virtuose parut s’assombrir ; une sueur d’angoisse perla bientôt sur son front. Il se pencha, comme pour mieux lire et, les sourcils contractés, les yeux rivés au manuscrit qu’il feuilleta fiévreusement, à peine respirait-il !…

Ce que lisait le vieillard était donc bien extraordinaire, pour qu’il se troublât de la sorte !…

En effet ! — Le maître allemand, par une jalousie tudesque, s’était complu, avec une âpreté germaine, une malignité rancunière, à hérisser la partie du Chapeau-chinois de difficultés presque insurmontables ! Elles s’y succédaient, pressées ! ingénieuses ! soudaines. C’était un défi ! — Qu’on juge : cette partie