Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/278

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

yeux du jeune homme et les siens se rencontrèrent, le temps de briller et de s’éteindre, une seconde.

S’étaient-ils connus jamais ?… Non. Pas sur la terre. Mais que ceux-là qui peuvent dire où commence le Passé décident où ces deux êtres s’étaient, véritablement, déjà possédés, car ce seul regard leur avait persuadé, cette fois et pour toujours, qu’ils ne dataient pas de leur berceau. L’éclair illumine, d’un seul coup, les lames et les écumes de la mer nocturne, et, à l’horizon, les lointaines lignes d’argent des flots : ainsi l’impression, dans le cœur de ce jeune homme, sous ce rapide regard, ne fut pas graduée ; ce fut l’intime et magique éblouissement d’un monde qui se dévoile ! Il ferma les paupières comme pour y retenir les deux lueurs bleues qui s’y étaient perdues ; puis, il voulut résister à ce vertige oppresseur. Il releva les yeux vers l’inconnue.

Pensive, elle appuyait encore son regard sur le sien, comme si elle eût compris la pensée de ce sauvage amant et comme si c’eût été chose naturelle ! Félicien se sentit pâlir ; l’impression lui vint, en ce coup d’œil, de deux bras qui se joignaient, languissants, autour de son cou. — C’en était fait ! le visage de cette femme venait de se réfléchir dans son esprit comme en un miroir familier, de s’y incarner, de s’y reconnaître ! de s’y fixer à tout jamais sous une magie de pensées presque divines ! Il aimait du premier et inoubliable amour.

Cependant la jeune femme, dépliant son éventail, dont les dentelles noires touchaient ses lèvres, sem-