Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/286

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veux partager avec vous, fût-ce l’éternel silence, s’il le faut. Pourquoi voulez-vous m’exclure de cette infortune ? J’eusse partagé votre bonheur ! Et notre âme peut suppléer à tout ce qui existe.

La jeune femme tressaillit, et ce fut avec des yeux pleins de lumière qu’elle le regarda.

— Voulez-vous marcher un peu, en me donnant le bras, dans cette rue sombre ? dit-elle. Nous nous figurerons que c’est une promenade pleine d’arbres, de printemps et de soleil ! — J’ai quelque chose à vous dire, moi aussi, que je ne redirai plus.

Les deux amants, le cœur dans l’étau d’une tristesse fatale, marchèrent, la main dans la main, comme des exilés.

— Écoutez-moi, dit-elle, vous qui pouvez entendre le son de ma voix. Pourquoi donc ai-je senti que vous ne m’offensiez pas ? Et pourquoi vous ai-je répondu ? Le savez-vous ?… Certes, il est tout simple que j’aie acquis la science de lire, sur les traits d’un visage et dans les attitudes, les sentiments qui déterminent les actes d’un homme, mais, ce qui est tout différent, c’est que je pressente, avec une exactitude aussi profonde et, pour ainsi dire, presque infinie, la valeur et la qualité de ces sentiments ainsi que leur intime harmonie en celui qui me parle. Quand vous avez pris sur vous de commettre, envers moi, cette épouvantable inconvenance de tout à l’heure, j’étais la seule femme, peut-être, qui pouvait en saisir, à l’instant même, la véritable signification.

Je vous ai répondu, parce qu’il m’a semblé voir