Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/111

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fois qui ont essayé de forger des simulacres humains ? ― Ah ! ah ! ah ! ― ah !…

Edison eut un rire de Cabire dans les forges d’Eleusis.

― Les infortunés, faute de moyens d’exécution suffisants, n’ont produit que des monstres dérisoires. Albert le Grand, Vaucanson, Maëlzel, Horner, etc., etc., furent, à peine, des fabricants d’épouvantails pour les oiseaux. Leurs automates sont dignes de figurer dans les plus hideux salons de cire, à titre d’objets de dégoût d’où ne sort qu’une forte odeur de bois, d’huile rance et de gutta-percha. Ces ouvrages, sycophantes informes, au lieu de donner à l’Homme le sentiment de sa puissance, ne peuvent que l’induire à baisser la tête devant le dieu Chaos. Rappelez-vous cet ensemble de mouvements saccadés et baroques, pareils à ceux des poupées de Nuremberg ! ― cette absurdité des lignes et du teint ! ces airs de devantures de perruquiers ! ce bruit de la clef du mécanisme ! cette sensation du vide ! Tout, enfin, dans ces abominables masques, horripile et fait honte. C’est du rire et de l’horreur amalgamés dans une solennité grotesque. L’on dirait de ces manitous des archipels australiens, de ces fétiches des peuplades de l’Afrique équatoriale : et ces mannequins ne sont qu’une caricature outrageante de notre espèce. Oui, telles furent les premières ébauches des Andréidiens.

Le visage d’Edison s’était contracté en parlant : son regard fixe semblait perdu en d’imaginaires ténèbres ; sa voix devenait brève, didactique et glaciale.