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Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/114

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L’ouvrier qui fond une balle se dit tout bas, inconsciemment : « Ceci est livré aux hasards ! et ce sera, peut-être, du plomb perdu. » Et il achève son engin, dont l’âme lui est voilée. Mais, s’il voyait passer devant ses yeux, béante, brusque et mortelle, la blessure humaine que cette balle, entre autres, est appelée, destinée à creuser, et qui, par conséquent, fait virtuellement partie de sa fonte, le moule d’acier lui tomberait des mains, s’il était un brave homme, ― et peut-être refuserait-il à ses enfants le pain du soir, si ce pain ne pouvait être gagné qu’au prix de l’achèvement de cette besogne, car il hésiterait à se sentir quand même complice de l’homicide futur.

― Eh bien ? interrompit lord Ewald, où voulez-vous en venir, Edison ?

― Eh bien… je suis l’homme qui tient le métal bouillonnant sur le brasier, ― et il vient de me sembler, tout à l’heure, en songeant à votre tempérament, à votre intelligence à jamais désenchantée, que je voyais la blessure passer devant mes yeux. C’est que la chose dont je veux vous parler peut vous être salubre ou plus que mortelle, voyez-vous. ― C’est donc moi qui hésite, maintenant. ― Car nous faisons, tous deux, partie de l’expérience en question ! Et je la crois beaucoup plus dangereuse, en réalité, pour vous au moins, qu’elle ne le paraissait de prime-abord. Le péril, qui est d’un ordre des plus horribles, vous seul en êtes menacé ! ― Certes, vous êtes déjà sous le coup d’un danger, puisque vous êtes de ces cœurs qu’une passion fatale conduit presque toujours à une fin désespérée ; certes, aussi, je cours le risque