Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/21

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cesseurs et qui, faute d’un appareil convenable pour les retenir, sont tombés à jamais dans le néant ?… Qui pourrait, en effet, de nos jours, se former une notion exacte ― par exemple du Son des trompettes de Jéricho ?… du Cri du taureau de Phalaris ?… du Rire des augures… du Soupir de Memnon à l’aurore ?… etc.

Voix mortes, sons perdus, bruits oubliés, vibrations en marche dans l’abîme et désormais trop distantes pour être ressaisies !… Quelle flèche atteindrait de tels oiseaux ?

Edison toucha négligemment un bouton de porcelaine, contre le mur, auprès de lui. Un éblouissant jet bleu, parti d’une vieille pile faradique, à dix pas de son fauteuil, et capable de foudroyer une certaine quantité d’éléphants, traversa, de son dissolvant éclair, un bloc de cristal ― puis disparut dans le même cent-millième de seconde.

― Oui, continuait en son nonchaloir le grand mécanicien, j’ai bien cette étincelle… qui est au son ce que la levrace vierge est au chélonien : elle pourrait accorder une avance de cinquante siècles et plus, dans les gouffres, aux anciennes vibrations parties de la terre !… mais, sur quel fil, sur quelles traces la dépêcher vers elles ?… Comment lui apprendre à les rapatrier, une fois ressaisies ? à les rabattre sur le tympan de leur chasseur ?… Cette fois le problème semble, au moins, insoluble.

Edison secoua mélancoliquement, du bout de son petit doigt, la cendre de son cigare : ― après un silence, il se leva, non sans un sourire, et se mit à faire les cent pas dans le laboratoire.