Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/262

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pas un jour. Car le malheur immérité a grandi son âme jusqu’à la soif de la Mort. Une sorte de perpétuelle extase l’élève hors de ce monde et la rend aussi impuissante à tout gagne-pain qu’indifférente aux privations les plus pénibles ― excepté pour ses enfants. Elle a coutume de vivre dans un état d’esprit qui ne lui laisse distinguer que les choses éternelles, au point d’avoir oublié son nom terrestre pour un autre, dit-elle, ― que des voix, d’étranges voix ! lui ont donné, souvent, dans les rêves. ― Voulez-vous, à ma première prière, vous qui venez du monde des vivants, ne pas dédaigner de joindre votre aumône ― à la mienne ?

Ce disant, elle alla prendre, sur une étagère voisine, quelques pièces d’or qu’elle laissa tomber dans la bourse.

― De qui parlez-vous, miss Hadaly ? demanda lord Ewald en se rapprochant de l’Andréïde.

― Mais de mistress Anderson, milord Celian, ― de la femme de cet infortuné qui est mort de passion pour ― vous savez bien ? ― pour tous ces tristes objets, là, tout à l’heure ?

Et elle indiqua du doigt la place du tiroir funèbre, dans la muraille.

Si maître qu’il fût de lui, lord Ewald recula devant Hadaly inclinée, cette bourse religieuse à la main.

Cette imagination lui semblait la plus sinistre de toutes et quelque chose dans cette aumône atteignait, en lui, l’Humanité.

Sans répondre, il jeta donc plusieurs bank-notes dans la bourse noire.