Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/335

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cueillie et d’un silence plus merveilleux que celui même qui nous environne ! Hélas ! ô bien-aimée, je t’aime ! tu le sais ! ― Cela signifie que c’est seulement à travers ta présence que je puis vivre ! Pour être digne de ce bonheur, ensemble, il suffit d’éprouver ce qui est immortel autour de nous et d’en diviniser toutes les sensations. Là, dans cette pensée, plus de désillusions, jamais ! Un seul moment de cet amour est plus qu’un siècle d’autres amours.

En quoi, dis-le-moi, cette manière de s’aimer te semble-t-elle si exaltée ou si déraisonnable ? Alors surtout qu’elle me semble si naturelle, et la seule qui ne laisse ni souci ni remords ? Toutes les plus ardentes caresses de la passion s’y trouvent multipliées, mille fois plus intenses et plus réelles, ennoblies, transfigurées, permises ! ― Quel charme trouves-tu donc à dédaigner toujours le meilleur, l’éternel de ton être ? Ah ! si je ne craignais d’entendre ton jeune rire, hélas ! si désespérant et cependant si doux, je te dirais bien d’autres choses, ou plutôt me taisant, nous en subirions de divines !…

Miss Alicia Clary gardait le silence.

― Mais, reprit lord Ewald, avec un triste sourire, je te parle hébreu, n’est-ce pas ? ― Aussi, pourquoi, me questionnes-tu ? Que puis-je te dire ― et quelles paroles, après tout, valent ton baiser ?

C’était la première fois, depuis longtemps, qu’il lui parlait d’un baiser. Impressionnée, sans doute, par le magnétisme de la nuit tombante et de la jeunesse, la jeune femme paraissait, pour la pre-