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Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/342

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quelque lumière, et tu reconnaissais, alors, avec ta raison, que ces visages, ces formes ou ces regards n’étaient que le résultat d’un jeu des ombres nocturnes, d’un reflet des nuages lointains sur le rideau, de l’aspect, étrangement animé par la vertu des silencieux mirages de la nuit, de tes vêtements jetés sur un meuble, à la hâte, au hasard du sommeil.

Souriant, alors, de ta première inquiétude, tu éteignais de nouveau la lumière et, le cœur satisfait de cette si absolue explication, tu te rendormais paisiblement.

― Oui, je me rappelle, ― dit lord Ewald.

― Oh ! reprit Hadaly, c’était très raisonnable ! Ainsi, tu oubliais, cependant, que la plus certaine de toutes les réalités, ― celle, tu le sais bien, en qui nous sommes perdus et dont l’inévitable substance, en nous, n’est qu’idéale ― (je parle de l’Infini,) ― n’est pas seulement que raisonnable. Nous en avons une lueur si faible, au contraire, que nulle raison, bien que constatant cette inconditionnelle nécessité, ne saurait en imaginer l’idée autrement que par un pressentiment, un vertige, ― ou dans un désir.

Eh bien ! en ces instants où, voilé par une demi-veille et sur le point d’être ressaisi par les pesanteurs de la Raison et des Sens, l’esprit est encore tout imbu du fluide mixte de ces rares et visionnaires sommeils dont je te parle, ― tout homme en qui fermente, dès ici, le germe d’une ultérieure élection et qui sent bien, déjà, ses actes et ses arrière-pensées tramer la chair et la forme futures de sa renaissance, ou, si tu préfères, de sa conti-