Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/343

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nuité, cet homme a conscience, en et autour de lui, tout d’abord de la réalité d’un autre espace inexprimable et dont l’espace apparent, où nous sommes enfermés, n’est que la figure.

Ce vivant éther est une illimitée et libre région où, pour peu qu’il s’attarde, le voyageur privilégié sent comme se projeter, sur l’intime de son être temporel, l’ombre anticipée et avant-courrière de l’être qu’il devient. Une affinité s’établit donc, alors, entre son âme et les êtres, encore futurs pour lui, de ces occultes univers contigus à celui des sens ; et le chemin de relation où le courant se réalise entre ce double monde n’est autre que ce domaine de l’Esprit, que la Raison, ― exultant et riant dans ses lourdes chaînes pour une heure triomphales, ― appelle, avec un dédain vide, l’Imaginaire.

C’est pourquoi l’impression que ton esprit, errant encore sur la frontière de ce sommeil étrange et de la vie, avait subie tout d’abord et en sursaut, c’est pourquoi cette primitive et intuitive impression, ne t’avait pas trompé. Ils étaient bien là, dans la chambre, autour de toi, ceux-là qu’on ne peut nommer, ― ces précurseurs, si inquiétants, qui n’apparaissent, le jour, que dans l’éclair d’un pressentiment, d’une coïncidence ou d’un symbole.

Oh ! lorsqu’à la faveur de cette substance infinie, l’Imaginaire (au dégagement de laquelle, en nous et autour de nous, les ténèbres et leur silence sont si favorables), lorsqu’ils s’aventurent jusqu’en nos limbes et que, par une action réciproque et médiatrice, ils réfléchissent leur présence, non pas en une âme, ― cela ne se peut pas encore —