Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/344

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mais sur une âme disposée à leur visitation, ― devenue, pendant l’assoupissement de sa Raison, à proximité de leur monde, ― d’une âme presque échappée et confondue avec leur essence, déjà, ― oh ! si tu savais !

Ici, Hadaly prit, dans l’ombre, la main de lord Ewald :

― Si tu savais comme ils s’efforcent de transparaître, autant que possible, pour l’avertir et augmenter sa foi, fût-ce au moyen des Terreurs de la Nuit ! ― comme ils se vêtent, au hasard, de toutes les opacités illusoires qui peuvent renforcer demain le souvenir de leur passage ! ― Ils n’ont pas d’yeux pour regarder ?… N’importe ; ― ils te regardent par le chaton d’une bague, par le bouton de métal de la lampe, par une lueur d’étoile dans la glace. ― Ils n’ont pas de poumons pour parler ?… Mais ils s’incarnent dans la voix du vent plaintif ; dans le craquement du bois mort d’un meuble ancien, dans le bruit d’une arme qui tombe, soudainement, alors, faute d’équilibre… (car il est une Prescience qui permet éternellement !) Ils n’ont pas de formes ni de visages visibles ? ils s’en figurent un avec les plis d’une étoffe, ils s’accusent dans la tige feuillue d’un arbuste, dans les lignes d’un objet, et se servent ainsi des ombres pour s’incarner, te dis-je, en tout ce qui vous entoure, au mieux de la plus intense sensation qu’ils doivent laisser de leur visite.

Et le premier mouvement-naturel de l’Âme est de les reconnaître, en et par cette même terreur sainte qui les atteste.